Intelligence Artificielle : que dit la loi sur les droits d’auteur et le droit à l’image ?

Posté par PUShAUNE le 9 juin 2023

1 commentaire :/

Les IA vont prendre le contrôle du monde et nous réduire en esclavage, mais avant ça elles vont nous voler nos métiers.
Aujourd’hui, on fait un point avec Maître Simon Mintz, avocat spécialisé dans le Droit d’Auteur et le Droit à l’Image pour passer en revue ce qu’on peut faire (ou pas) avec les créations des IA.

On se retrouve encore une fois dans le studio de la Brique avec maître Simon Mintz
Si vous nous découvrez maintenant, je vous conseille d’aller voir les deux précédentes vidéos qu’on a faites ensemble.
La première traite des droits d’auteur et la seconde du droit à l’image.

Parce que si vous n’avez pas un minimum de notions dans ces deux domaines-là, vous risquez de ne pas comprendre ce qu’on va dire aujourd’hui.

Tout à fait, c’est un préalable intéressant, parce que vous aurez les bases sur le droit d’auteur et le droit à l’image, et ensuite on va les appliquer à la question de l’intelligence artificielle.

Mais avant, je vais te laisser te présenter, parce qu’il y a des gens qui ne te connaissent pas encore.

Pour les quelques irréductibles qui n’auraient pas vu les vidéos précédentes : je suis toujours avocat, j’exerce toujours en droit de la propriété intellectuelle sur Marseille (plus précisément entre Marseille et Paris).

Je traite des questions de droit d’auteur, de droit à l’image dont on a déjà parlé, de droit du numérique évidemment, mais ça peut aussi concerner des questions de marque, de brevet, de création technique.
C’est pour ça que pour moi, le sujet de l’intelligence artificielle, c’est ultra intéressant, parce que c’est le cœur des innovations d’aujourd’hui et que ça pose plein de questions sur comment adapter des solutions juridiques qui existaient avant à cette nouvelle technique. Et donc je suis ravi de pouvoir en parler avec toi.

Donc aujourd’hui, on va aborder la fin du monde, on va aborder la mort des graphistes et des photographes qui vont perdre leur travail à cause des intelligences artificielles ; mas surtout : qu’est-ce qu’on peut faire et qu’est-ce qu’on peut faire avec des images créées par ou avec des intelligences artificielles.

Sachant qu’une bonne partie des réponses qui seront données sont pour beaucoup de l’interprétation, parce qu’il n’y a pas encore vraiment de loi à proprement parler qui traite de ces questions-là.
On va essayer d’appliquer des choses préexistantes à une solution nouvelle, et donc il y a une grande part d’interprétation.

Donc voilà, c’est un peu de spéculation, un peu d’analyse, mais c’est des solutions concrètes, mais qui seront peut-être provisoires en tout cas.

Oui, parce qu’actuellement, c’est un peu un gros flou juridique autour des intelligences artificielles. C’est quelque chose de très nouveau, surtout dans le milieu du graphisme, et c’est pour ça aussi qu’on voulait faire un peu cette vidéo. C’était pour voir en l’état où est-ce qu’on en est, qu’est-ce qu’on peut faire, qu’est-ce qu’on peut pas faire, et toutes les implications juridiques que ça peut avoir pour nous les créateurs mais aussi pour nos clients.

Les droits d’auteurs appliqués à l’intelligence artificielle

Premier point qu’on va aborder, ça va être les droits d’auteur. En tant qu’artiste auteur, je facture des droits d’auteurs. Maintenant, si jamais j’utilise une intelligence artificielle pour créer, est-ce que c’est protégeable par les droits d’auteur ?

Alors, c’est une question qui est hyper intéressante. Il y a un critère en droit français, pour qu’une œuvre soit protégéeable, il faut qu’elle reflète l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Ça, c’est le critère qui est dégagé par les tribunaux.

En pratique, c’est très compliqué à appliquer ce cadre là parce qu’il y a une grande partie de la création qui est automatique.
C’est-à-dire que l’utilisateur va mettre du texte et l’intelligence artificielle va sortir des images, sauf que les images ne sont pas issues du cerveau de l’auteur.

Et c’est très compliqué de dire que ça reflète l’empreinte de sa personnalité.
On a toujours établi en matière de droit d’auteur que une création devait être l’œuvre d’un humain, et c’est pour ça qu’on a exclu de la protection :

  • des créations automatiques,
  • ou des créations faites par des animaux.

Pour tout ça, il n’y a pas droit d’auteur parce que c’est pas fait par un humain.

Et le deuxième point, à partir du moment où la création elle se fait de manière autonome ou automatique, on considère que il y a pas d’intervention humaine et pas de pas de droit d’auteur.

Un exemple d’affaires qui a pu y avoir, c’était un artiste qui avait accroché un appareil photo sous un avion qui avait survolé Paris, prenait des photos de manière automatique et en fait, on a décidé que c’était pas protégé par le droit d’auteur parce que la création se faisait de manière automatisée.
Dans le cas des IAs, on est encore plus dans l’autonomie parce que c’est l’algorithme lui-même qui va élaborer la création.

Le prompt artist est-il un artiste ?

D’accord, mais quid du promt artiste qui passe des heures, voire des jours, à élaborer le bon prompt ; qui va faire des itérations sur des itérations sur des itérations pour obtenir la bonne image ?

C’est une question qui est super intéressante parce que tu vois, il y a eu un exemple comme ça. il y a un artiste qui a qui a créé une œuvre et qui a gagné un concours de photos aux États-Unis

Il l’a fait en scred ou alors il avait affiché que c’était fait avec une IA ?

Il me semble qu’il a dit après coup et en fait ce qu’il a expliqué ensuite, quand il expliquait sa démarche, c’est qu’il avait passé énormément de temps pour tester les différents mots clés les différents trucs qu’il avait passé au total plus de 80 heures pour arriver à la photo parfaite.

Donc, dans ce cas-là, la question se pose en fait : est-ce que ça traduit l’empreinte de sa personnalité ? Est-ce que tout ce travail de test, d’itération, justifie que, le résultat est issu de son imagination ?

Ou est-ce qu’on considère quand même que la majeure partie vient d’algorithme et que, du coup, c’est une création autonome ? La réponse n’est pas encore fixe.

Un élément intéressant, qui est assez récent, tu as le Copyright Office américain (petite parenthèse : le droit d’auteur en France et aux États-Unis est différent. Aux États-Unis, tu l’obtiens par enregistrement, par dépôt auprès du Copyright Office. En France, tu n’as pas de formalités à faire, en France tu es protégé, c’est ce qu’on disait dans vidéo la précédente).

Donc, le Copyright Office américain a décidé qu’une œuvre créée par intelligence artificielle n’était pas protégeable par le droit d’auteur. Mais c’était un cas assez spécifique où c’était une bande dessinée qui avait été créée et donc, le Copyright Office a dit que les images qui avaient été créées par IA n’étaient pas protégeables, mais par contre, le texte de la bande dessinée et l’histoire qui, eux, avaient été écrits par une personne physique, pouvaient être protégeables.
Tu vois, là, dans ce cadre-là, tu as une distinction entre les éléments purement issus de l’IA qui ne sont pas protégeables en l’état du droit et les éléments qui sont ajoutés par l’auteur, qui eux peuvent être protégeables.

Donc, ça veut dire que une œuvre peut englober des éléments faits par une IA, mais il faut qu’il y ait quand même un travail humain derrière.

Exactement. Et ça peut être une idée de solution pour obtenir des droits d’auteur : c’est d’associer les deux :

  • soit d’implémenter dans le moteur de l’IA des œuvres originales que l’auteur a faites,
  • soit de prendre du texte ou une image, quelque chose de juste parlant, mais de le retravailler par la suite avec Photoshop, ou peu importe la solution

Et dans ce cas-là, on ne considérera pas que l’œuvre dans son entier est originale et protégeable, mais que l’adaptation ou l’apport qui a été fait par l’auteur peut constituer un élément protégé.

L’IA comme outil de création

L’IA, c’est quelque chose que j’ai intégré dans mon processus de travail, et je passe beaucoup de temps à générer des prompts qui arrivent à me sortir des images potables. Et même avec ça, les images qui me sortent ne sont jamais « ouf », et je suis tout le temps obligé de refaire une passe avec Photoshop ou Illustrator.
Dans ce cas-là, ça, je peux le protéger ?

Ouais, alors après, il faut être capable de définir quel est ton apport à toi. Parce que pour obtenir une protection par le droit d’auteur, il faut expliquer ce qui est original, quel est l’apport typique dans Photoshop.

Si tu modifies, je ne sais pas, la lumière, l’éclairage, tu rajoutes des éléments, ça peut être protégeable, mais il faut expliquer en quoi ces ajouts que tu as faits traduisent ta personnalité. C’est un peu la difficulté, mais potentiellement, ça peut marcher.

J’aimerais juste revenir sur l’IA en tant qu’outil. Il y a effectivement des IA qui permettent de générer des photos à partir d’un prompt, et dans ce cas-là, on vu que c’était a priori, pour le moment, pas protégé.
Il y a Adobe Firefly, qui est une autre IA intégrée à Photoshop (qui est l’outil utilisé par les photographes retoucheurs, ou même des graphistes), et ils ont implémenté une IA à l’intérieur qui permet non pas de créer une image, mais de modifier une image qui, à la base, est ta création.

Par exemple, j’ai une zone et dans cette zone, je peux ajouter une maison, une voiture, un personnage, une montagne, un volcan, ce que je veux. En gros, ça permet juste de faire du photomontage, mais beaucoup plus rapidement.

Là, on est un peu dans le cas inverse de ce qu’on disait tout à l’heure, c’est-à-dire que ce n’est pas une image créée par une IA que toi tu vas modifier, et du coup, tu auras des droits sur la modification que tu as faite. C’est l’inverse.

C’est toi qui as une image que toi tu as créée et sur laquelle potentiellement tu as le droit d’auteur, et sur laquelle une modification est faite par une IA. Et dans ce cas-là, toi tu n’auras potentiellement pas de droit sur la modification qui a été faite, mais tu pourras en avoir sur l’image initiale. Donc, de la même manière, tu auras une combinaison des deux, certains éléments protégés, d’autres pas protégés.

Ça, c’est quelque chose qui est assez courant en droit d’auteur, mais que tout le monde ne comprend pas forcément, c’est la notion d’œuvre composite, c’est-à-dire que dans une même œuvre, tu as une combinaison de plusieurs œuvres.

Donc, quand ce sont des œuvres classiques, tu vas avoir différentes personnes qui ont des droits sur le même objet, et là, dans ce cas-là, tu auras différentes personnes qui ont des droits, donc une qui est une IA et qui en fait n’a pas de droit.
Donc en fait, tu as une combinaison de personnes physiques qui ont des droits et une IA qui n’en a pas. C’est assez nouveau, mais potentiellement ça peut être qualifié d’œuvre composite.

À qui appartient les œuvres créées par une IA ?

Du coup, là, on dit qu’il y a une partie où il n’y a pas de droit, donc ça appartient à tout le monde ?

Alors ça, c’est la question. En fait, on a vu la question de est-ce que c’est protégeable, et ensuite, dans un deuxième temps, si c’est protégeable, à qui ça revient ? On raisonne de manière un peu abstraite puisqu’on a dit qu’a priori, ce n’était pas protégeable, mais imaginons que ça soit protégeable. Peut-être que ça arrivera un jour.

Il y a plusieurs options, parce que tu as plusieurs intervenants dans le processus de création. Tu peux avoir :

  • la personne qui utilise l’IA, qui met les commandes,
  • la personne qui a conçu l’algorithme, la personne qui a développé la solution,
  • et éventuellement une troisième personne concernée, la personne qui a créé des œuvres préexistantes et dont il y a été nourri pour alimenter l’algorithme.

Donc, potentiellement, tu peux avoir trois personnes concernées par les droits, et on n’a pas de réponse concrète à ça. On n’a pas de réponse. Tu as des suppositions, notamment en droit anglais, qui est l’un des rares droits nationaux qui traite de cette question. Le droit anglais et le droit britannique nous dit que dans le cas d’une œuvre créée par ordinateur, l’auteur pourrait être réputé être la personne ayant pris les dispositions nécessaires pour la création de l’œuvre.

C’est assez abstrait, mais en pratique, les trois personnes ont pris les dispositions. Ça suppose de l’interpréter.
Qui a pris les dispositions ? Est-ce celui qui a reçu les commandes ? Est-ce celui qui a créé l’IA ? En fait, là, on est plus dans une logique non pas d’empreinte de la personnalité et de droit d’auteur à la française, mais plus de celui qui a effectué le travail pour que l’œuvre puisse advenir. C’est une autre logique, mais c’est une manière de voir les choses.

Un autre point à prendre en compte, parce que ça, c’est une interprétation par rapport aux choses concrètes et au texte, c’est aussi de voir ce qu’il y a dans les conditions générales des différentes IA. En pratique, la plupart des IA donnent tous les droits à la personne qui l’utilise. Ils vont donner tous les droits en gros.

Toi, tu utilises Midjourney, ou peu importe, en gros l’œuvre qui est créée, tu as tous les droits dessus, sachant que ce sont des droits non exclusifs. Donc en fait, tu as des droits dessus, mais en fait tout le monde aussi potentiellement a le droit de l’utiliser. Donc c’est une solution qui est un peu abstraite, parce que en fait on va te donner des droits sur quelque chose dont à la base on n’est pas sûr qu’il est déjà des droits.

Le client est-il protégé en cas d’utilisation d’une IA ?

Dans ce cas-là, ça veut dire que en utilisant l’IA pour créer une image que je vais revendre à un client, quelque part je peux le mettre en défaut, parce que ça veut dire que cette image peut être réutilisable par n’importe qui.

Ouais, alors la limite à ça ce serait l’image créée par Midjurney, qu’ensuite toi tu as modifiée.

Oui, si jamais je la modifie, dans ce cas-là, il est à minima protégé, mon client. Mais si, par contre, je prends une image brute de décoffrage, là, par contre, il peut se retrouver avec exactement les mêmes images sur une affiche 4 par 3. Du coup, ça c’est quand même assez dangereux pour nos clients, parce que si jamais je produis une image non retouchée, uniquement créée par une IA, c’est-à-dire que n’importe qui peut la réutiliser.

Mais du coup, je pense à Undiz qui a fait une campagne de com il n’y a pas très longtemps, avec deux images générées par des IA. Donc ça veut dire que techniquement, un concurrent peut prendre les images et les réutiliser pour notre campagne de com.

Vu que les images, à priori, enfin sauf si elles n’ont pas été modifiées par la suite, et quand bien même elles seraient modifiées, il faut encore que les modifications soient originales, vu qu’à priori elles ne sont pas protégées, oui, n’importe qui peut les reprendre.

Après là, on parle uniquement dans le cadre du droit d’auteur. Je pense à une autre limite : si quelqu’un les reprend, Undiz pourrait éventuellement se fonder sur la concurrence déloyale en disant que certes les images sont libres de droit mais en fait en les réutilisant vous créez une confusion entre notre activité et la vôtre et ça, ça peut être sanctionné au titre de la concurrence déloyale.

Parfois, tu peux avoir des actions de repli aussi, qui te permettent de te protéger dans certains cas. Mais sur le plan du droit d’auteur, oui, si ce sont des images purement générées, tu ne peux pas interdire la reprise.

J’imagine que si Undiz a fait une campagne de com internationale avec des images générées par des IA, c’est que quelque part, ils ont dû se renseigner quand même sur le fait qu’on puisse réutiliser ou pas ces images-là.

J’imagine, j’imagine. Mais après, tout le monde ne prend pas toujours les précautions nécessaires. Undiz, c’est une marque connue. Donc en fait, si eux ont utilisé ces images-là et qu’elles sont associées à leur marque, ils pourront reprocher la reprise. Comme je disais, pas sur le fondement du droit d’auteur, mais par exemple sur la concurrence déloyale ou le parasitisme, qui sont des actions subsidiaires, puisque ça aurait été associé à leur marque et que les gens créent un risque de confusion.

Mais ce n’est pas applicable dans tous les cas. C’est une action qui est plus floue, qui est un peu moins certaine, un peu moins fiable que le droit d’auteur. Et en faisant ça, je pense qu’il y a une certaine manière, ils prennent un risque.

D’autant plus que sur Midjourney, quand tu te crées un compte, tu as une galerie qui est associée, et on peut retrouver tes créations en ligne. C’est-à-dire que tu peux aller dans « Explorer » et tu peux retrouver toutes les créations faites par Midjourney.

Et tout est nécessairement public, tout est visible ?

Alors, je crois qu’il y a peut-être la possibilité de rendre certaines créations privées. Mais en tout cas, si tu ne le sais pas, c’est-à-dire que tout ce que tu fais est public, on peut prendre tes images, tes images sont publiques, et tu peux les télécharger.

C’est un peu dans la logique de leurs conditions d’utilisation où ils donnent tous les droits, mais non exclusifs. Et en gros, ils disent, bah, tout le monde peut réutiliser ce que vous avez fait, puisque c’est le droit, non ? C’est un peu la même logique.

C’est vrai, un peu comme une banque d’images gratuites.

Donc, ça veut dire que d’un côté, le client prend un risque, parce qu’on peut réutiliser ces images, mais dans notre cas, il fait de grosses économies, parce qu’il n’a pas le droit d’auteur à payer.

C’est une balance à estimer entre le risque et le bénéfice, mais je ne suis pas sûr que le bénéfice du fait de ne pas payer des photographes, des artistes, soit à la hauteur du risque pris. Quelqu’un qui reprend une campagne de pub, potentiellement, ça peut faire chuter les ventes, ça peut coûter beaucoup d’argent.

Le cas de la concurrence déloyale

Du coup, je me permets de revenir sur les trois personnes qui pouvaient potentiellement revendiquer les droits. Il y avait :

  • les personnes qui créent l’algo,
  • la personne qui crée le prompte,
  • et la personne dont on peut imiter le style.

En ce moment, il y a une grosse polémique sur ArtStation et DeviantArt. Les artistes sur ces plateformes ne sont vraiment pas contents parce qu’on a pompé leur style. Et c’est-à-dire que maintenant, dans Midjourney, par exemple, je peux dire : « Ok, je veux telle illustration avec le style de telle personne », je peux carrément la nommer pour avoir une illustration à sa manière, et ça, ça peut être un énorme manque à gagner pour les artistes.

Et alors, ça, c’est une question qui est vraiment pas simple parce que, en fait, le principe en droit d’auteur, c’est que le style n’est pas protégeable. En fait, ce qui est protégeable, ça va être une œuvre concrète avec des caractéristiques précises que tu peux identifier. Et à l’inverse, on va considérer que ce qui relève de l’idée ou du concept n’est pas protégeable.

Or, le style, c’est quelque chose d’un peu abstrait, un peu conceptuel. Et en l’état du droit d’auteur, il est absolument impossible de demander la protection d’un style. Donc, ça, c’est problématique pour les auteurs. Une voie alternative, comme moi je verrai, c’est de s’appuyer, non pas sur le droit d’auteur, parce que l’absence de protection des idées, ça, c’est quelque chose qui est établi depuis très longtemps et qui est difficilement négociable. Ce serait de s’appuyer sur ce que je te disais là, par exemple, la concurrence déloyale.

En fait, la concurrence déloyale, pour te la faire courte, c’est la responsabilité civile de droit commun. En fait, on te demande juste de prouver l’existence d’une faute, d’un dommage, d’un lien de causalité. Et en pratique, c’est beaucoup plus flou.

Et là, la faute, ce serait la reprise des éléments qui caractérisent l’univers d’un auteur.
Le dommage, c’est le manque à gagner pour l’auteur.
Et le lien de causalité, c’est le fait que cette reprise-là a causé un dommage.

Et du coup, tu pourrais argumenter en disant que la reprise du style crée un risque de confusion dans l’esprit des gens qui accèdent aux œuvres, et que du coup, ils pourraient croire que ça vient de l’artiste initial s’ils ne sont pas informés. Et cet artiste-là, ça lui fait un manque à gagner, voire une mauvaise publicité.

Donc, sur le plan du droit d’auteur, à priori, c’est pas négociable. Un style, ça va être difficile de dire que c’est protégeable. Mais on peut tenter une voie alternative,
Je ne l’ai pas encore vu, mais à mon sens, il n’y a pas encore de décision de justice sur ce point. Mais ça pourrait être une solution pour contourner ce point.

Donc, ça me semble facilement gérable, si jamais, par exemple, mon style est réutilisé pour promouvoir quelque chose qui me fait clairement du mal. Par exemple une incitation à la violence ou ce genre de choses-là. Je pense que c’est assez facile à gagner.
Par contre, si c’est juste pour un manque à gagner, c’est plus difficile.

Je ne ferais même pas cette distinction là, parce qu’en fait, la première question c’est : est-ce qu’on peut identifier ton style ?
Donc déjà, premier truc, est-ce que le style est vraiment identifiable ? Et ensuite, que ce soit quelque chose de positif ou de négatif, peu importe ; dans tous les cas, il aurait fallu te demander ton autorisation pour le reprendre.

Donc, quand bien même c’est quelque chose de positif, bah, c’est un manque à gagner, parce que même si c’est positif, on te paye quelque chose pour utiliser quelque chose que tu as créé. Et si c’est négatif, là c’est encore pire, parce que tu as un préjudice, parce que tu es associé à quelque chose de négatif.

Mais pour moi, la question, c’est plus démontrer la reprise du style. Est-ce qu’on est capable vraiment de l’identifier ? Et à moins que ce soit vraiment évident ou quelqu’un te fait « dans le style de Picasso », où là vraiment tu vois, mais pour des artistes moins connus ou des styles un peu plus subtils, c’est pas tant une question de protection qu’une question de preuve.

Donc, même si on ne peut pas forcément interdire le fait d’être utilisé par des IA, il y a peut-être un espoir si jamais notre style est vraiment réutilisé, de pouvoir quelque part se défendre.

Pour moi, l’argumentation elle tient la route, vraiment. C’est un truc qui peut se tenter mais après, c’est une question aussi d’évidence de la reprise. Est-ce que, quand tu vois l’œuvre créée par IA, est-ce que ça saute aux yeux que le style a été repris ou pas ?

Comment protéger ses œuvres du data mining ?

Il est possible maintenant, je crois, de se protéger contre le data mining et de demander aux IA de ne pas utiliser nos œuvres.

Tout à fait.
En fait, on utilise le terme en français de « droit de fouille ». C’est une directive européenne de 2019 qui consacre cela et en fait, elle dit qu’il y a un droit absolu dans le domaine de la recherche, d’explorer le web pour récupérer des œuvres, consulter toutes sortes de choses et les utiliser notamment dans les algorithmes.

Ça, c’est dans le cadre de la recherche.
Par contre, le data mining n’est pas (et n’est plus) encadré dans un cadre commercial. Et en fait, ce que dit cette directive, qui a été transposée en France, c’est que dans un cadre commercial, il est possible de l’utiliser, sauf s’il y a opposition du titulaire de l’œuvre concernée. Et dans ce cas-là, ce que font certains, et notamment il me semble que c’était DeviantArt qui avait mis ça en place, c’est de mettre une sorte de tag qu’on mettait dans la photo ou à l’œuvre, qui était par exemple « no AI », et qui est censé empêcher les robots des différentes IA de d’utiliser ces œuvres-là.

Ça, c’est la théorie. En pratique, c’est assez compliqué de vérifier que ça a été pris en compte.

Le seul moyen de vérifier, c’est de taper son nom dans l’IA pour savoir si elle ressort des images qui ressemblent à ce qu’on fait.

Ou d’accéder aux bases de données pour certaines quand elles sont publiques. Mais c’est vrai que c’est encore un peu théorique. C’est vrai que les créations générées par des IAs ou les IAs elles-mêmes, il y a un peu de manière de les voir.

Il y a ceux qui pensent que c’est clairement l’avenir et que c’est génial, d’autres qui pensent que c’est le mal, que c’est Satan en personne qui vient détruire nos métiers à tous. Donc il y a différentes manières d’aborder les IA. Tu as des sociétés ou des banques d’images qui sont très complaisantes et qui montent des partenariats, et d’autres qui sont plus méfiants, comme ArtStation par exemple. Et d’autres, au contraire, qui essaient de fermer les portes au maximum.

C’est vrai qu’il y a différentes réactions des différentes banques d’images concernées, et ça peut donner des pistes d’indications sur des solutions concrètes à venir. Par exemple, on a vu que Getty Images, eux, ils sont contre, ils ne veulent pas vendre d’images créées par IA. C’est une position.
Et à l’inverse, tu peux avoir Shutterstock qui, eux, ont fait un partenariat avec une IA pour que les utilisateurs puissent créer avec leurs solutions maison, et pour compenser ça, ils ont créé un fonds à destination des auteurs pour qu’ils puissent être indemnisés en pratique.

À ma connaissance, le fond n’est pas encore opérationnel, donc on ne sait pas vraiment comment ils vont rémunérer les auteurs. Ça peut être un peu une sorte de licence légale, comme ça existe déjà avec la copie privée, ce genre de droit pour les auteurs. Ça peut être une idée à l’avenir, comment associer les auteurs.

En fait, on utilise leurs œuvres sur le web, du coup ils ont une petite compensation. Sauf que l’on ne peut pas imaginer que ce soient des acteurs privés qui gèrent ce truc-là. Peut-être que ça peut être une solution à l’avenir, que ce soit institutionnalisé.

Le droit à l’image et les Intelligence Artificelles

Donc maintenant qu’on a vu que les agences de pub ou les clients n’avaient peut-être plus besoin de payer des droits d’auteur auprès des photographes, on va voir les droits à l’image.
Si j’utilise une IA pour créer une image qui ressemble à quelqu’un ou qui met en scène quelqu’un, est-ce qu’il y a un droit à l’image applicable sur cette photo, sur cette création ?

Le droit à l’image n’a pas été pensé pour les IA en particulier, donc la seule manière de répondre à cette question, c’est d’appliquer les principes classiques du droit à l’image. Est-ce que la personne est identifiable, est-ce qu’elle est reconnaissable ? Et du coup, à partir du moment où tu as une personne qui est représentée via une intelligence artificielle, a priori le droit à l’image s’applique.

Et en théorie, si tu veux utiliser cette photo, quand bien même c’est généré par une intelligence artificielle, tu as besoin de l’autorisation préalable et écrite de la personne.

La question avait déjà été abordée pour des technologies qui étaient un peu similaires, la question des deep fakes en fait, où tu colles l’image de quelqu’un et ça pouvait générer des trucs assez nuisibles, assez malsain.
Tu as un article du code pénal qui s’applique à cette situation-là. Il dit que :

Le fait de publier, par quelques voix que ce soit, le montage réalisé avec les paroles, l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas fait mention, est puni par de la prison, des amendes, etc.

Ça pourrait s’appliquer à l’intelligence artificielle, parce que c’est une sorte de montage. Donc, à mon sens, les principes de droit à l’image classique s’appliquent.

Le droit à la caricature

Le droit à la caricature s’applique quand même pou des images générées par des IAs ? C’est-à-dire que je peux créer des images caricaturales de personnes connues ?

De la même manière que pour le droit à l’image classique, tu as des exceptions qui s’appliquent, et notamment tu peux avoir le droit à la caricature qui rentre un peu dans le critère global du droit à la liberté artistique. Et c’est pour ça que dans certains cas, on considère que le droit à l’image peut céder devant la liberté artistique, ou par exemple devant le droit à la liberté d’expression qui est un autre sujet dans le cadre journalistique.

Si tu essaies de créer une caricature et que tu as une démarche un peu artistique, un peu créative, tu pourrais éventuellement essayer de t’abriter derrière ça pour le faire, sachant que tu as quand même une limite. La limite, qu’on expliquait la dernière fois, c’est que tu dois quand même respecter la dignité de la personne concernée.

Donc en fait, tu as le droit à une liberté de création artistique potentiellement qui peut faire céder le droit à l’image, mais tu ne peux pas faire n’importe quoi et représenter la personne dans des situations dégradantes, dans des choses qui portent atteinte à son honneur, à sa considération, etc.

Du coup, en ce qui concerne les gens créés de toutes pièces, peux eux, aucun droit à l’image ne s’applique. On fait ce qu’on veut, non ?

C’est un cas spécifique que j’ai lu, je sais pas si ça peut arriver en réalité, mais théoriquement c’est possible. C’est-à-dire, tu crées quelque chose complètement de toute pièce. Il paraît qu’on a tous des sosies quelque part dans le monde, et ça se trouve, en fait, ça va ressembler à quelqu’un qui existe. Potentiellement, cette personne-là aurait quelque chose à dire.
C’est un cas de figure qui est hyper théorique, mais ce sera quand même amusant si tu commences à faire une campagne de pub avec un personnage créé par ailleurs, et en fait, quelqu’un a dit « c’est moi ».

C’est très théorique, mais vu l’absence de limite à la créativité des IAs, potentiellement ça pourrait arriver un jour.

Et si on va encore plus loin, si jamais je crée une personne que je l’utilise, je sais pas moi, comme égérie de ma marque, et donc j’utilise plusieurs fois… Voilà, je l’ai créée, mais vu que cette personne n’existe pas, il n’y a pas de droit à l’image. Donc, c’est-à-dire que théoriquement, quelqu’un pourrait la réutiliser.
Mais peut-être que là aussi, on peut se protéger avec le risque de parasitisme ?

Exactement, ça. Vu que la personne n’existe pas, tu n’as pas de droit à l’image. Vu que c’est créé par IA, supposé que tu n’aies pas fait de modifications à côté, il n’y a pas de droit d’auteur. Donc, en théorie, tout le monde peut la réutiliser.

Mais la limite que je verrai, c’est exactement ce que tu dis, c’est de créer une confusion entre cette marque-là qui l’utiliserait et une autre qui la reprendrait, parce que si ça a été suffisamment exploité et que, dans l’esprit public, c’est associé à cette marque-là ; le fait de le reprendre pourrait créer un risque de confusion et éventuellement être sanctionnable sur le terrain de la concurrence déloyale ou du parasitisme,

Donc, on n’est pas tout à fait démuni. Il y a des solutions de repli, mais après, c’est beaucoup d’interprétations, on n’a pas encore beaucoup de recul sur la question. On n’a pas de texte, on a très peu de jurisprudence. Donc, c’est beaucoup de spéculation. On en saura, je pense, un peu plus dans les prochains mois, les prochaines années, quand il y aura eu des jugements. Mais pour le moment, c’est beaucoup d’interprétation.

Conclusion

On a essayé de passer le sujet en revue. Il est possible qu’on ait oublié des choses. Si vous avez des questions, si vous avez des interrogations, si on n’a pas été assez clair : n’hésitez pas à poser vos questions en commentaire, vos remarques aussi.

Je te remercie encore une fois d’être venu à la Briquèterie pour répondre à mes questions.

Merci de m’avoir invité.

Tu kiffes ? Alors partage avec tes potes !

1 commentaires

  1. Le , david a dit :

    et si une personne a modifié une image par IA et qu’il ya as eu jamais but de nuire. et qu’on lui vole ses images malencontreusement et par force et menace de les exposer et de divorcer … que dis la loi ici

Sois pas timide, lâche tes com’ !

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.